Quand il apprend que le prince Philip, duc d’Édimbourg, souhaite le féliciter, José Beyaert ironise: « Dites-lui que je reçois les visiteurs entre sept et neuf! » Une boutade de plus à mettre à l’actif de celui qui vient de remporter ce vendredi 13 août 1948 la médaille d’or de l’épreuve cycliste sur route des Jeux de Londres, en 5 heures, 18 minutes et 12 secondes. Quand le duc lui serre la main, l’incroyable José lance: « I am very happy! » Surprise de l’éminent interlocuteur: « You speak English? » Toujours blagueur, José s’empresse d’ajouter: « No! » Il n’a retenu que ces quatre mots chopés lors de la course Paris-Londres en 1947. Le duc poursuit donc la conversation en français. José est aux anges.

Le « fabuleux destin » de José Beyaert. Ginette Haÿ avait trouvé les mots justes quand elle évoquait en 2003, dans la revue Gauheria, l’incroyable et palpitante carrière de ce coureur, né le 1er octobre 1925 à Lens, au 134 rue du Bois. Il passa sa prime jeunesse dans la Cité n° 4 avant de suivre sa famille, en 1931, à Bagnolet puis à Pantin dans la banlieue nord de Paris. Un personnage ce Beyaert. Pas grand - un peu plus de cinq pieds diront les Anglais ! -, porteur de lunettes d’écolier, cordonnier de métier, bagarreur dans l’âme, malin comme un singe. Talentueux et impétueux coureur amateur, 11e du championnat du monde à Reims en 1947, convaincu qu’il pouvait gagner… En revanche, le rusé José va « gagner » sa sélection pour les Jeux de Londres en compagnie d’Alain Moineau, Jacques Dupont, René Rouffeteau. Une équipe de France olympique coachée par Georges Speicher. L’épreuve sur route étant prévue le vendredi 13 août, dernier jour des jeux; la sélection française veut être sur place le mercredi ! Sérieux contretemps: le maire de Pantin n’a pas signé le certificat de bonne conduite de José, signature indispensable pour rejoindre Londres… Le maire reproche au coureur de se comporter trop souvent en boxeur dans son quartier et de fréquenter trop assidûment le poste de police. Achille Joinard le président de la Fédération française de cyclisme rectifie le tir… et le certificat de bonne conduite.

José Beyaert, large sourire et maillot des jeunesses populaires et sportives.

Un grand truc

Le vendredi 13, le temps est « pourri », Beyaert, Dupont, Moineau et Rouffeteau sont sur la ligne de départ. 15000 spectateurs ont rejoint le grand parc de Windsor où a été tracé le circuit
de onze kilomètres, avec la permission du roi George VI. Dixsept tours, soit 120 miles 914 yards. Une seule difficulté: Breakheart Hill. Le duc d’Édimbourg lâche le peloton de 101 coureurs (29 nations) à 11 heures 24. Au fil des tours et des attaques, José suit attentivement le jeu du chat et de la souris… Sûr de lui. À deux tours de l’arrivée, un groupe de huit hommes mène la danse. Beyaert seul Français face aux Belges Lode Wouters et Léon Delathouwer, aux Anglais Bob Maitland et Gordon Thomas, à l’immense Suédois Nils Johansson, au Batave Gerrit Voorting et à l’Australien Jack Hoobin. À deux kilomètres du but, José fait mine de prendre son bidon, berne ses adversaires puis place une attaque foudroyante. Six cents mètres d’effort intense. Il franchit la ligne d’arrivée avec presque quatre secondes d’avance sur Voorting, Wouters… Speicher rejoint le nouveau champion olympique et lui assène un laconique: « Tu as fait un grand truc ».
Le lundi suivant, José Beyaert est invité à dîner chez le président de la République française Vincent Auriol, en compagnie de Marcel Cerdan et de Micheline Ostermeyer. Constatant que le champion cycliste lorgne les couverts sur la table, le président lui demande: « Que faites-vous fiston? » « Je compte les couteaux et les fourchettes. Nous sommes six à la maison et il n’y a que cinq fourchettes. Quand le premier a fini, le dernier peut enfin manger. » Incroyable José qui repartira avec un cadeau présidentiel: un paquet de couteaux et fourchettes. Un peu d’argenterie pour un champion en or.
                                                                                                                                          Chr. Defrance

Jeux de Londres : la paix, Fanny, Micheline...

Des baraques militaires, des écoles pour accueillir athlètes et officiels ! Des délégations apportant leur
propre nourriture et le Danemark offrant 160 000 oeufs...
Des équipements défaillants dans une ville à peine remise des bombardements. Et pourtant, avec le bénévolat volant au secours de l’organisation qui sut ne pas confondre vitesse et précipitation, les Jeux de Londres, trois ans après la capitulation de l’Allemagne nazie, baptisés « Jeux de l’austérité » connurent un immense succès sportif et
populaire. Plus de 4 000 athlètes issus de 59 nations (l’Allemagne n’a pas été invitée, le Japon et l’Union soviétique
sont absents) célébrèrent la paix retrouvée, du 29 juillet au 14 août 1948. Dix-sept disciplines au programme
pour 136 épreuves avec pour la première fois dans l’histoire olympique, des retransmissions télévisées. Jeux de
l’austérité et du progrès aussi, comme en témoignent l’apparition des starting-blocks, de la photo finish, du pistolet de départ relié à un chronomètre électrique...
La Hollandaise Fanny Blankers-Koen, trente ans et mère de deux enfants, fut l’héroïne de cette 14e olympiade de
l’ère moderne en glanant quatre médailles d’or : 100 et 200 mètres, 80 mètres haies, relais 4 x 100 mètres. Fanny a été désignée en 1999 championne d’athlétisme du siècle. Si elle ne récolta « que » deux titres olympiques (poids et disque), Micheline Ostermeyer - née à Rang-du-Fliers - marqua les esprits londoniens en donnant le soir de sa
victoire au poids, un concert de piano au Royal Albert Hall.

Professionnel chez Helyett en 1949, José Beyaert remporte sa première victoire à Alger dès le mois de mars... Mais il ne répondra jamais à toutes les espérances suscitées par son titre olympique. Il termine 47e du Tour de France 1950, gagne la même année le grand prix d’Isbergues et vire sa cuti en 1952. Invité à l’inauguration d’un vélodrome en Colombie, José ne résiste pas à la tentation sud-américaine... Il y restera cinquante ans, tour à tour coureur, coach, homme d’affaires (une scierie, un laboratoire cosmétique), chercheur d’émeraude, bûcheron, contrebandier et bandit ? En tout cas c’est ce qu’affirme son biographe, l’excellent journaliste anglais Matt Rendell qui a publié en 2009, Olympic gangster. The legend of José Beyaert - Cycling champion, Fortune Hunter and Outlaw. Un livre fascinant, scénario de film d’aventure. Revenu en France en 2001, accueilli à Lens d’ailleurs, José Beyaert est décédé le 11 juin 2005 à La Rochelle.